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lunedì 29 agosto 2016

Le temps est-il supérieur à l’espace ?


 

 

di Ghislain Lafont

Pubblicato il 28 agosto 2016 nel blog: Des moines et des hommes

 

Dans la dernière partie de Evangelii Gaudium, spécifiquement dans un ensemble de paragraphes consacrés à la paix (217-237), le pape François a proposé quatre principes dont la mise en œuvre constituerait un « authentique chemin vers la paix dans chaque nation et dans le monde entier ».

 

Les mots utilisés sont extrêmement généraux : temps/espace, unité/conflit, réalité/idée, tout/partie, le premier terme de chaque binôme étant proclamé supérieur au second. Il faudrait donc garder le regard fixé sur les quatre premiers termes, temps, unité, réalité, tout, et veiller à leur subordonner les seconds.

 

Il n’y a pas besoin d’être grand clerc dans l’histoire de la pensée humaine pour reconnaître que ces mots, avec quelques autres semblables, existent depuis toujours dans l’esprit des hommes en quête de compréhension et de direction pour la conduite de leur existence éprouvée et éphémère. Ici comme souvent, ces mots se présentent en couples qui sont et demeurent antagonistes : on ne peut pas supprimer un de leurs termes au profit de l’autre, ni identifier l’un à l’autre, ce qui serait effacer les deux. Il faut donc jouer avec l’identité et la différence. Toutes les sagesses jonglent ainsi avec ces notions, les organisent, les utilisent afin d’aider à un parcours plutôt heureux de la vie.

 

C’est ainsi que les principes proposé par François ont évoqué en moi les deux grands présocratiques : Parménide, Héraclite. Le premier et le troisième [« le temps est supérieur à l’espace » ; « la réalité est supérieure à l’idée »] nous rangent du côté d’Héraclite : dans la réalité, notre expérience est bien que « tout coule » et qu’ « on ne se baigne jamais dans le même fleuve ». Il est d’autre part sûr que, si déliées soient-elles, nos idées et nos paroles (nos logoi) n’épuisent pas le réel qu’elles scrutent. Etrangement, avec le second principe [« l’unité prévaut sur le conflit »] et le quatrième [« le tout est supérieur à la partie »], Héraclite recule, lui pour qui « au commencement était la guerre » et Parménide se réinstalle dans une paix et une globalité depuis toujours inébranlables, lui qui rejette décidément l’idée même d’un devenir comme aussi celle de la précarité d’un logos.

 

Ce rapprochement spontané des principes de François avec ceux des grands présocratiques donnent à penser qu’il n’y a rien en eux de définitif, d’autant moins qu’ils sont en position dialectique. Il faut donc les prendre comme des suggestions intellectuellement fondées et pratiquement utiles pour le discernement aujourd’hui des situations et les prises de décision constructives. Finalement, dans leur « magistère », les évêques et les papes ont toujours agi ainsi.

 

Cela dit, l’originalité du pape François me semble se situer du côté « héraclitéen » de ses propositions. Pour des raisons qu’il serait trop long de présenter à nouveau ici et qui tiennent à des conjonctures de civilisation, la pensée chrétienne s’est volontiers développée à l’enseigne de l’éternel, de l’identique, du raisonnable, de ce qui, au nom de la réalité immuable de Dieu et du caractère terminal de la Résurrection du Christ, ne change pas ou ne change plus.

 

Or le mot espace est symbolique de cette identité. Il connote l’étendue, la consistance, la cohérence, la permanence, le solide et il suggère, pour ce qui est au-delà (le métaphysique), la même qualité, celle que semblent dire le mot être et celui, corrélatif, de perfection.

 

En commençant ses principes avec la supériorité du temps, François met en avant une autre symbolique : celle des successions, des aventures, des ruptures et des recompositions, de la mort et de la vie, de la durée souvent répétitive certes, mais toujours à nouveau traversée d’un inattendu qui change tout. Il illustre lui-même ses propositions avec l’image du polyèdre qu’il oppose à celui (parménidien s’il en fût !) du cercle : le polyèdre dit des éléments divers qui, gardant leur originalité, confluent ; qui s’articulent sans s’annuler. L’image, présentée en EG 236, semble pertinente au Pape puisqu’il la reprend, de concert avec le rappel du premier principe proposé de la supériorité du temps (AL 3-4), pour caractériser l’ensemble du Synode sur la famille.

 

A ce point, je voudrais faire deux réflexions. La première est que l’Ecriture sainte est construite sur le temps avant de considérer l’espace.

 

Lorsque les scribes ont rassemblé en un volume l’ensemble des textes dont ils disposaient, ils ont écrit : « au commencement » (Gen. 1, 1), et le dernier des prophètes édités fait entrevoir la fin : « le jour du Seigneur, grand et redoutable » (Mal. 3,23). Ensuite seulement, ils ont publié les écrits de sagesse. Le Nouveau Testament n’a pas modifié l’ordre, lui qui se termine avec la prière « Viens Seigneur Jésus ». En d’autres termes, les auteurs de la Bible ont subordonné la sagesse à la prophétie. La théologie n’a-t-elle pas eu tendance à faire l’inverse ? Même si elle a eu ses raisons de le faire, on pourrait se réjouir d’avoir aujourd’hui à restituer l’ordre primitif, – ce qui ne veut pas dire gommer la sagesse, mais la situer à l’intérieur de la prophétie et non au-dessus.

 

La seconde réflexion est que le Pape François n’a pas fait que proposer ces principes. En tête de la vie et de la réflexion de l’Eglise, il a invité à mettre la miséricorde, c’est-à-dire la figure de Dieu comme Amour en excès. Il l’a fait dans une prise de conscience sans concession des périls encourus par le monde et des causes de la dramatique situation présente.

 

Il a proposé (et signifié par des actes symboliques) une vision synodale de l’Eglise comme pyramide renversée dont la pointe est en dessous, – position qui donne à cette dernière toute sa fécondité. Il a indiqué la dynamique d’écoute, d’échanges, de recherches, de discernement à tous les niveaux qui doit permettre à l’Eglise de dire et de faire une parole efficace et crédible. Tout cela, me semble-t-il, doit être accueilli avec bienveillance et jugé à l’aune non pas des acquis d’hier, mais d’une cohérence profonde avec l’intention innovante du Concile Vatican II, qui attendait peut-être ce genre de message  pour développer ses potentialités dans l’Eglise certes, mais aussi pour le monde des hommes qui les attend sans le savoir.

 

 

Fonte: Blog Munera di Andrea Grillo